Amis lecteurs, voyageurs, curieux et passionnés de l’Asie, je vous dois la vérité: j’ai quitté Saigon et je suis rentrée en France. Ce blog ne sera donc plus alimenté en direct et j’en suis la première désolée. Mais si vous souhaitez poursuivre le voyage et continuer de rêver, je publie en juin 2018 le guide Portraits de Saigon aux éditions Hikari.
Hikari Editions publient une collection de guides intitulée Vivre ma ville, des livres de voyage avec supplément d’âme. De Tokyo à Melbourne en passant par New-York, New-Delhi ou Berlin, les plus grandes villes du monde sont ici racontées par leurs habitants. Ayant vécu 8 ans à Hô Chi Minh Ville, j’ai eu le plaisir de réaliser les Portraits de Saigon dans lequel je retrace le parcours de 11 habitants, Vietnamiens, Français, Franco-Vietnamiens, Britanniques, Belges…
Certains d’entre eux sont des personnalités saigonnaises, d’autres, de parfaits inconnus. Tous livrent leurs adresses personnelles et leurs bons plans pour découvrir aux mieux la capitale économique du Vietnam. A la fois guide touristique et livre de voyage, ce récit aux visages multiples s’adresse tout autant aux visiteurs, aux touristes qu’à tous ceux qui veulent s’installer et vivre à Hô Chi Minh Ville.
Ces guides donnent les clés, les conseils, les bonnes adresses, grâce à l’expérience de ceux qui vivent sur place, là où les autres guides se contentent d’auteurs professionnels de passage.
Ils offrent aussi des histoires, une chair littéraire par les interviews-portraits d’une dizaine de personnes qui présentent leur lieu de vie. Chaque portrait est un roman. Chaque portrait a un enjeu : comprendre le choix de cette vie-là. Chaque portrait permet aussi au lecteur de s’identifier, et donc de choisir ses destinations en fonction de ses affinités, en fonction du personnage qui résonne le plus en lui.
Pour les amoureux du Japon, je conseille les guides de mes amies: Portraits de Kyoto de Rafaële Brillaud et Portraits de Tokyo de Johann Fleuri. Toutes deux sont aussi journalistes et vivent au Japon depuis plusieurs années.
Ils ont posé leurs valises à Saigon. Thomas et Amélie Huynh Le Maux se sont installés au Vietnam en 2016 où ils assurent vivre une expérience unique. Ils vivent d’opportunités et d’envies dans une ville en plein boom économique.
Ils ont manqué l’édition 2016 du festival Art Rock à Saint-Brieuc. C’était bien la première fois depuis des années que Thomas et Amélie Huynh Le Maux n’y assistaient pas. Et pour cause : le couple de Briochins s’était envolé pour Hô Chi Minh Ville 6 mois auparavant sans billet de retour. Ils ont bien tenté de suivre le festival via Facebook. Mais le réseau social était plus ou moins censuré pour ne pas faire écho aux manifestations exceptionnelles qui défilaient alors dans les rues de la capitale économique du Vietnam. Assis devant un caphe sua dà, Thomas sourit. Le jeune homme de 33 ans constate que plus rien ne sera désormais comme avant…
Avant, c’était la France, entre Saint-Brieuc et Paris. Thomas est né d’un père vietnamien et d’une mère bretonne.
« Papa est issu d’une famille de Saigon dont les enfants ont fait leurs études en France. Il est parti avant 1975 et la victoire du Nord. Il a rencontré ma mère à Paris puis ils se sont installés à Saint-Brieuc. Quand j’ai eu 10 ans, il a commencé à passer un mois sur deux au Vietnam où il avait une entreprise de confection de vêtements. J’ai été élevé par ma mère. Je me sens plus Breton que Vietnamien ! »
Mais comme tous les Eurasiens, Thomas s’est un jour posé la question de ses origines : «Vers 15-16 ans, j’ai voulu en savoir un peu plus sur ma famille au Vietnam. J’avais 10 ans quand j’y suis allé pour la première fois. »
De son côté, Amélie est la fille unique d’un couple qui vit à Plaintel. C’est dans la station balnéaire du Val-André que les deux jeunes gens se rencontrent en 2003, avant de s’installer à Paris quelques années plus tard où Amélie prépare une thèse de biologie tandis que Thomas travaille comme intermittent du spectacle.
En 2008, ils partent au Vietnam, sac au dos, pour un mois. C’est sans doute à ce moment-là que leur vie bascule. « C’était la première fois que je visitais vraiment le Vietnam des campagnes », raconte Thomas. Delta du Mékong, Cambodge, puis retour au Vietnam et un trajet mémorable en train pour remonter jusqu’à Hanoi, en terminant par un trip en moto jusqu’aux montagnes du Nord. « Nous sommes partis avec l’agence d’un de mes cousins à Hanoi dans un village de l’ethnie Dao. Nous avons dormi chez l’habitant. C’était simple mais tellement vrai. Je me vois encore repeindre les chaises de l’école du village. Je me suis dit que j’adorais ce pays. »
L’idée de partir a germé peu de temps après. « On ne voulait pas avoir des enfants à Paris, explique Amélie. Le côté individualiste de la vie parisienne nous pesait aussi. Le Vietnam s’est imposé naturellement pour Thomas et pour moi aussi, après notre voyage en 2008.» La famille du jeune homme à Saigon leur a beaucoup facilité leur arrivée : « on n’avait plus qu’à poser nos valises ! »
Pourtant, le grand saut effraie. Il fallait mettre de l’argent de côté. Thomas travaillait dans le casting sans grande passion. Amélie précise : « Il avait surtout peur de me voir quitter mon boulot dans l’industrie pharmaceutique. »Il approuve, encore tout étonné de leur audace : « Amélie est une grande bosseuse. Je l’ai vue préparer sa thèse, puis la soutenir. J’étais fier. Je me suis dit que je ne pouvais pas lui demander de tout quitter. Et si on se plantait ? » Elle poursuit : « Je vois mes compétences comme des briques que j’empile. Aujourd’hui, on a plusieurs métiers. Si je n’étais pas partie vivre à l’étranger, j’aurais été frustrée ! »
Quelques semaines après son arrivée, Amélie s’est très vite retrouvée responsable communication de la première édition du festival Saigonella, quand Thomas a été, lui, propulsé vidéaste. « On attendait 600 personnes, on en a eu 1500 ! »
« En France, j’avais fait une école de réalisation audiovisuelle, explique Thomas. Mais j’étais fiché « casting ». Impossible d’en sortir. Ici, on m’a fait confiance. On ne te met pas dans une case d’où tu ne peux plus sortir. »
En 2017, ils ont créé FMR (For many Reasons) pour soutenir l’art à Saigon. Hors des galeries, FMR conçoit et organise des événements artistiques multidisciplinaires.
« Un lieu unique, un thème original, une soirée éphémère: c’est la combinaison d’un événement FMR, précise Amélie. C’est aussi un réseau d’artistes et une société d’event outsourcing pour tous les lieux d’HCMC qui ont besoin de concepts, d’events et de stratégie communication pour se démarquer. »
Vidéo Old Saigon by FMR (images d’Adrien Plate et montage Thomas Huynh).
Avec un réseau d’artistes bien étoffé maintenant, le couple organise ponctuellement des événements qui mêlent à la fois la musique, la danse, les arts visuels et décoratifs, le théâtre… La ville de 10 millions d’habitants commence à se faire une place au soleil parmi les capitales d’Asie du sud-est, en matière d’art contemporain. Une place encore petite et à l’ombre de ses voisines, Hong-Kong ou Singapour. Censure vietnamienne oblige.
Les deux Briochins assurent que la France ne leur manque pas, ils se sont fait des amis très vite. « Et j’ai des discussions plus longues sur Skype avec des copains que je croisais seulement auparavant », constate Amélie. Thomas, quant à lui, regrette amèrement de ne pas avoir travaillé son anglais à l’école : « J’aimerais dire à tous les petits Français : bossez votre anglais, c’est indispensable pour voyager ! »Le couple apprend le vietnamien. Thomas, cette fois, est assidu. « Je serai vraiment fier le jour où j’aurai une discussion en vietnamien avec mon père. » Plus rien ne sera comme avant.
FMR, c’est aussi Saigonettes Social Club – International Ladies events, le festival Saigonella pour une prochaine édition en 2018 et de nombreuses collaborations venir.
Voilà probablement l’endroit qui cumule tout ce que j’aime. A la fois un joli café, dans un vieil immeuble où vit encore une grande famille vietnamienne, qui se transforme en bar à vins le soir. Tout en proposant régulièrement des conférences et des concerts. What else?
Comme tout ce qui se mérite ici, il faut s’aventurer dans une « hem », une allée très étroite où ne passe qu’une seule moto à la fois. En bas de l’immeuble, se trouve un petit restaurant de rue avec deux ou trois tables. Et un tout petit parking à motos. Prenez l’escalier sur votre droite, montez jusqu’au 3e étage. Vous croiserez sûrement un des habitants de l’immeuble qui vous sourira immanquablement. Il sera peut-être en train de déjeuner dans le couloir, à peine dissimulé par un vieux paravent. Si vous aimez le Vietnam simplement, ici, rien n’a changé depuis des années.
Le Old Compass Cafe est un lieu où l’on vous invite à laisser de côté votre téléphone portable. Prendre le temps de discuter, boire un verre, passer du bon temps entre amis, déjeuner ou dîner (le menu propose de la cuisine vietnamienne et quelques en-cas occidentaux): la cuisine est sur le même palier, juste en face de la porte d’entrée.
Un petit mot sur un table.
Le Old Compass Cafe a été fondé par Mark Bowyer et Dang Thuy Duong. Mark est australien, il est très connu ici à Saigon pour son blog de voyage (et bien plus encore) le rustycompass.com en anglais.
Mark invite à découvrir le Vietnam d’abord, mais aussi le Cambodge et le Laos à travers l’histoire, la culture et tous les lieux sympathiques qu’il repère au long cours. C’est une mine d’informations! Et Mark est aussi, à ses heures perdues, un excellent musicien. Il jouait notamment avec l’actuelle propriétaire du Yoko cafe (qui figure lui-aussi dans mon top 5 in Saigon) dans les années 2000 au feu Vasco. Ils ont joué il y a peu au Old Compass Cafe, je suis fan…
Duong est Vietnamienne et c’est une personne que j’apprécie beaucoup. J’ai eu l’occasion de l’interroger longuement puisqu’elle est l’un des portraits qui figurera dans le prochain Guide de Saigon que je suis actuellement en train d’écrire et qui sera publié en 2018 aux éditions Hikari.
Duong explique que cet endroit était, au début, le lieu de rencontres des lecteurs du Rustycompass et qu’il est devenu, depuis, un lieu éclectique où la culture a toute sa place. Architecture, design, art, photographie… Les conférences données ici sont vraiment intéressantes avec des intervenants passionnants comme Larry Berman, l’auteur de The perfect Spy ou le journaliste britannique Bill Hayton, qui a écrit Rising Dragon ou encore Denise Chong, l’auteure de La fille sur la photo (qui retrace l’histoire de Kim Phuc, brûlée au napalm et dont la photo a fait le tour du monde). Vous pourrez aussi consulter des livres en anglais (et un seul en français/anglais, President Hotel…), sur ces thèmes chers aux propriétaires.
A Saigon, des cafés ouvrent tous les jours. La compétition est rude! Au Old Compass, nous voulons encourager les gens à se parler, lire, se poser. Notre clientèle est essentiellement australienne, américaine et britannique et compte aussi des Vietnamiens anglophones. Ils sont journalistes, diplomates, artistes, architectes mais aussi touristes ou voyageurs curieux. J’aime le brassage que permet le Old Compass.
Le Old Compass Café est définitivement l’un de mes endroits préférés à Saigon.
The Old Compass cafe, 63 Pasteur, 3e étage, district 1. A côté du Liberty Central Hotel sur Pasteur.
Mai Loan Tu, 28 ans, vient de fêter sa première année d’expatriation à Saigon. Artiste et tatoueuse, elle porte ses origines vietnamiennes paternelles avec élégance et discrétion. Rencontre dans le salon où elle travaille le tatouage comme un art graphique aussi singulier que multiple.
Elle a cette douceur dans la voix et cette simplicité qui ne la quittent pas. Elle ne veut pas d’une imposture. Mai-Loan Tu s’excuserait presque d’être là, tellement sa modestie en souffre. Mais il faut bien le constater: elle a le regard d’une artiste et de l’or dans les doigts. Un délicat trait d’eye-liner noir souligne ce regard bienveillant de la jeune femme qui porte, ce jour-là, des boots noirs et une petite robe noire à pois blancs. Le noir lui va si bien… Ce noir de l’encre indélébile qu’elle imprime désormais chaque jour sur des corps anonymes.
« Se faire tatouer n’est pas un acte anodin. Aujourd’hui, le tatouage est plus personnel que l’appartenance à un groupe. Ce n’est jamais un coup de tête, c’est un acte réfléchi. »
Son premier tatouage à elle est une petite clé sur la cheville, discrète. Le deuxième est une gravure de coquelicot qu’elle s’est fait elle-même, en France, où elle avait suivi une formation hygiène. Toujours discret. Son troisième tatouage, elle le fera au Vietnam: « c’est mon maître qui me l’a fait sur mon avant-bras gauche. C’est Mélusine, un personnage de gravure. J’adore les gravures anciennes. Celui-ci est visible, j’avais sans doute plus envie de le montrer. »
Car c’est au Vietnam que Mai-Loan a enfin pu intégrer le monde du tatouage.
« En France, c’est un milieu très fermé. si tu ne connais pas un tatoueur, il est quasiment impossible d’y entrer. »
Dessinatrice de formation, Mai-Loan a fait ses études d’art à Bruxelles où elle a passé 3 ans, avant de se rendre à Barcelone. Mais ses origines vietnamiennes (par son père) l’ont rattrapées et le vent l’a poussée jusqu’ici où elle voulait « trouver un nouveau souffle ». Elle y a rencontré Aries, tatoueur vietnamien qui officie depuis 10 ans au shop Exile Ink Vietnam, à Thao Dien, dans le district 2. « Il sait tout faire, surtout les dessins dans le style japonais et les aquarelles. Il m’a dit: « je vais t’apprendre tout ce que je sais ». Il ne voulait pas de cette hiérarchie maître-élève. Il m’a fait confiance. Au bout de deux mois, j’ai tatoué mon premier portrait sur la jambe de mon boss, le propriétaire du shop, qui est anglais. Quelle confiance! »
Qui se tatoue? « Tout le monde, tous les âges, Vietnamiens, expatriés… Le tatouage s’est banalisé, il a explosé. » Mai-Loan sait qu’il faut rassurer et soigner toutes les premières fois. La discussion est essentielle pour que la confiance s’installe.
« Chacun vient avec une idée précise. Ils commencent par un petit tatouage, puis reviennent en faire un autre, puis un autre. Le tatouage est addictif! »
La jeune femme se souvient de la première fois qu’elle a tatoué: « c’était un petit cupcake, sur une amie, en France. Ma main tremblait. Aujourd’hui encore, je ne prends jamais cela à la légère. Ce n’est pas rien de confier son corps à quelqu’un qui va y imprimer un dessin indélébile. » (1)
Rappelons que Mai-Loan Tu est avant tout dessinatrice et qu’elle a exposé ses oeuvres à Salon Saigon.
(1) On peut faire retirer un tatouage que l’on n’aime plus au laser mais c’est cher, douloureux et jamais parfait. En général, on le recouvre avec un autre tatouage.
Dans la série des derniers nés sur la place des galeries d’art et des rendez-vous culturels, voiciSalon Saigon. Dirigé parSandrine Llouquet,elle-même artiste franco-vietnamienne basée à Hô Chi Minh Ville, le lieu propose de visiter la collection privée du propriétaire, un Viêt-Kieu américain passionné d’art contemporain, ainsi que des expositions temporaires. En ce moment, découvrezBittersweet Whispers.
Le monde de l’art contemporain s’invente en ce moment-même à Saigon. Après The Factory, ouvert il y a moins d’un an dans le district des expatriés, et Blanc Art Space (dans une rue parallèle à Salon Saigon), ce nouvel espace a choisi un emplacement plus intimiste et en plein coeur d’un quartier vietnamien que j’aime personnellement beaucoup. Face à l’Acoustic Bar que je vous recommande pour ses concerts où se presse la jeunesse vietnamienne, Salon Saigon se trouve tout au bout d’une hem (ruelle) très plaisante.
« Le propriétaire a souhaité en faire un lieu dans l’esprit des salons européens du XVIIIe siècle »
Une décoration très néo-classique attend le visiteur qui trouvera également un espace pour se documenter. La bibliothèque est en cours d’approvisionnement mais vous y trouverez des livres en vietnamien, anglais et français, sur l’art en général, l’art contemporain et l’histoire de l’art ainsi que des ouvrages sur les traditions et la culture vietnamiennes. Salon Saigon souhaite être un reflet de « l’héritage culturel vietnamien et un lieu où peuvent s’exprimer les artistes contemporains », précise Sandrine Llouquet à travers des expositions bien sûr, mais aussi des performances, des conférences, des projections, des programmes éducatifs et des rencontres entre artistes, curateurs, collectionneurs et critiques. L’idée étant de mettre davantage l’accent sur le dessin qui a longtemps été le « parent pauvre » de l’art contemporain mais qui connaît un intérêt grandissant à la fois de la part des collectionneurs mais aussi des curateurs. Au Vietnam, il est encore méconnu mais commence à susciter l’enthousiasme du monde de l’art graphique.
Bittersweet Whispers
Mai-Loan Tu
Ink pen on paper/Mai Loan Tu
Ink pen on paper/Mai Loan Tu
He sharpened his knife and cut this world/ Mai-Loan Tu
Ce que Mai-Loan Tu est capable de faire avec un stylo plume est impressionnant. Une telle précision et cette légèreté qui ressort de l’oeuvre… Du plus profond de notre inconscient à tous, ces images surgissent simplement. Mai-Loan Tu utilise aussi le cutter pour des oeuvres où les ombres font le dessin autant que le découpage lui-même; Mai-Loan est aussi tatoueuse. Parce que le tatouage se rapproche d’une forme d’art graphique…
Ngo Thi Thuy Duyen
Black Hole/Ngo Thi Tuy Duyen
There is sky/Ngo Thi Tuy Duyen
C’est la répétition d’un motif floral qui donne à ces oeuvres la vision d’un champ de fleurs où l’abstraction fait référence à la beauté de l’expérience humaine individuelle.
Le Hoang Bich Phuong
From the center to home/Le Hoang Bich Phuong
Souvenir d’une jeune fille croisée dans un train en Malaisie. Ou comment la mémoire d’un visage s’efface avec le temps…
Le Hoang Bich Phuong est surtout connue au Vietnam pour ses peintures sur soie, études botaniques anthropomorphiques.
Lilie/Le Hoang Bich Phuong
Salon Saigon est ouvert le mardi au public de 9 h à 18 h et sur rendez-vous uniquement les autres jours de la semaine (fermé le dimanche).
Il y a des rencontres anodines et drôles, polies mais sans suite. Et il y a des rencontres qui sont tout sauf ça. J’ai rencontré Myriem Alnet dans un avion entre la France et le Vietnam. Lorsqu’elle a commencé à me parler d’An Ordinary City, j’ai compris qu’elle était l’initiatrice des projections de films au Yoko Bar chaque lundi soir. Sa démarche est intelligente, généreuse et inspirante.
La première fois que je suis allée au Yoko, c’était il y a 6 ans, à mon arrivée à Saigon. A ce moment-là, peu d’endroits proposaient des concerts live, surtout du rock et de la pop, à part l’Acoustic Bar. Et même s’il s’agissait souvent des reprises, le Yoko constituait un bol d’air musical. Et puis l’endroit a fermé. Puis réouvert il y a peu, avec une nouvelle équipe et un lieu rénové. C’est là que vous découvrirez chaque lundi soir An Ordinary City.
Myriem, quel est ton parcours et qu’est-ce donc qu’An Ordinary City?
Je suis urbaniste avec un background en sciences politiques et relations internationales. C’est le Printemps arabe qui m’a amenée à m’intéresser aux questions urbaines (précisons que la mère de Myriem est marocaine) : comment la ségrégation socio-spatiale a nourri les révoltes et quid de la reconstruction des villes arabes après les révolutions politiques ? Au cours de mon Master en urbanisme à Londres (Bartlett School of Planning), j’ai commencé à m’intéresser aux représentations qu’on appose aux villes « en développement », aux exigences auxquelles des villes comme Casablanca, Hô Chi Minh Ville, Luanda doivent répondre pour « figurer sur la carte du monde » . Je me suis surtout rendue compte qu’on les perçoit toujours dans une perspective « développementiste », autrement dit, qu’elles ne seront jamais vues pour ce qu’elles sont (des lieux de forte potentialité créative, d’intelligence sociale collective élevée) mais par rapport à des modèles fixes et autoproclamés (les traditionnelles Londres, New York, Paris…). Je voulais sortir de cette perspective et apprécier ces villes pour ce qu’elles sont, à l’échelle humaine, dans leur quotidien… ordinaire.
« An Ordinary City – une ville ordinaire – c’est véritablement sortir de cette course vers l’extraordinaire, le « toujours plus » (hauts buildings, rentabilité, etc), pour s’intéresser à ce qui fait cité, à ceux qui font la ville – à savoir l’âme des cités, à savoir leurs citadin/es. »
An Ordinary City est donc une initiative que j’ai initiée en 2015 pour échanger sur les villes, partager ces expériences urbaines ordinaires et promouvoir une meilleure connaissance de sujets liés à la vie de nos cités – urbanisme, architecture, sciences sociales – à travers des médias culturels. Les Movie Nights hebdomadaires sont une manière d’échanger sur ces villes via un format divertissant.
Frances Ha, un film de Noah Baumbach.
Comment et pourquoi as-tu initié ces projections ?
Hô Chi Minh est une ville qui bouillonne, se transforme très rapidement et je trouve que beaucoup de films y font écho et nous permettent de prendre du recul sur ces mutations, envisager leurs conséquences. En intervenant en tant que professeure invitée à Bac Khoa University (Université « polytechnique » de Hô Chi Minh Ville) auprès des étudiants en architecture, je me suis rendue compte que ce fonds culturel était méconnu et très difficilement accessible. J’ai donc simplement voulu ouvrir un espace de culture pour offrir à ceux qui le souhaitent de voir un cinéma autre que celui des blockbusters, omniprésent ici. Un cinéma, si ce n’est critique envers, au moins inspiré de notre environnement urbain. Inspirer, donner de la matière à réfléchir dans le meilleur des cas; créer une nouvelle opportunité de divertissement au minimum.
Le public? Je veux vraiment offrir ces films aux Vietnamiens. Pour cela, je travaille le sous-titrage des films en vietnamien. J’ai la chance d’avoir quelques étudiants intéressés par cet exercice de traduction : quand je ne trouve pas de sous-titre en ligne, ce sont eux qui les font ! C’est un point essentiel pour moi. De même, les projections sont gratuites : je veux garder cette opportunité culturelle accessible à tous.
Only Lovers Left Alive un film de Jim Jarmush.
Quels sont tes critères de choix?
Le critère numéro 1, c’est ce lien avec la ville, avec notre condition urbaine. Dans chacun des films, on peut lire, de manière plus ou moins directe, une question urbaine : voisinage dans le Hong-Kong de Wong Kar-Wai, régénération urbaine dans Tekkonkinkreet, ségrégation socio-spatiale dans City of God, la tour d’habitation dans High-Rise… Le cinéma que je présente est plutôt indépendant, je veux proposer des films qui ne passeront pas dans les méga-complexes. Il m’arrive de passer de grosses productions comme Blade-Runner (Ridley Scott, 1982), qui reste une référence dans le domaine, ou peut-être bientôt un Woody Allen, mais ça reste relativement rare.
Il y a des films plus difficiles d’accès que je trouve pertinents. Il s’agit de diluer leur diffusion sur le long terme, avec d’autres genres. Par exemple, le 24 City de Jia Zhangkhe est très intéressant mais vraiment long et quelque peu assommant! Je l’ai donc casé entre La Haine (Kassovitz, 1995) et After Hours (Scorsese, 1985).
La Haine de Matthieu Kassovitz.
« J’essaye de diversifier les formats, genres et origines. J’ai pu observer que les films asiatiques attirent les foules, mais je veux garder cette perspective internationale. »
Pourquoi le Yoko ?
Le Yoko est un café bar du district 3 tenu par deux membres du groupe TOFU Band, To Phu, la chanteuse et Hoai Anh, guitariste. Tous les autres soirs de la semaine, ils organisent des concerts, open-mic, soirées musique. Ils font partie de cette scène musicale alternative qui nous change les oreilles de l’EDM ambiante… C’est reposant. Les gens qui y vont sont plutôt jeunes, ça varie de la petite vingtaine pour les amateurs de métal à…. bien plus en fonction des soirs !
En journée et soirée, les playlists de fond sont sympas, de l’électro-indie-pop, ma culture musicale, donc je m’y retrouve. En termes d’espaces, le lieu a aussi été fait par un architecte et on sent le geste réfléchi : les choses sont là où elles doivent être, la décoration est harmonieuse et il s’y dégage une atmosphère agréable. Mais j’y suis arrivée par hasard. Je cherchais un bar qui pouvait accueillir plus de 30 personnes assises sans que ce ne soit trop désagréable et qui n’était pas trop cher (je pensais encore à mes étudiants !). Une amie qui connait To Phu m’a suggéré d’aller la voir. Et ça s’est fait tout seul…
Un nouvel espace d’art contemporain vient d’ouvrir ses portes rue Tu Xuong dans le district 3, face à l’ancienne école française Colette. Au fond d’une cour, Blanc Art Space propose actuellement une exposition de photographies de Phan Quang, intitulée « Recover ».
Longtemps photo-journaliste, Phan Quang, né en 1976 à Binh Dinh, a publié son travail dans de nombreux médias asiatiques et occidentaux, dont le magazine Forbes et le New York Time. Aujourd’hui davantage tourné vers la photographie d’art contemporain, Phan Quang a réalisé à partir de 2011 un travail remarquable sur une période historique peu connue au Vietnam. Il s’est intéressé à l’occupation japonaise de 1940 à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. Et plus particulièrement, aux femmes ayant eu une relation avec des soldats japonais pendant la guerre. Il a retrouvé quelques-unes de ces femmes et leurs enfants issus de ces liaisons longtemps cachées. Ces femmes, pour lesquelles ces relations avaient été consenties (la majorité d’entre elles ne l’ont pas été) et qui s’étaient mariées avec ces soldats, ont espéré le retour de leur mari et père de leur(s) enfant(s) tout comme ces familles vietnamiennes ont toujours souhaité être reconnues au Japon. Mais les Japonais avaient, pour la plupart, déjà, une famille dans leur pays.
Copyright Phan Quang
Phan Quang, qui a lui-même séjourné au Japon, a ramené un long voile blanc traditionnellement fabriqué dans un petit village près de Kyoto. Il a eu l’idée d’utiliser ce voile, habituellement réservé aux jeunes mariées, pour couvrir (« cover ») les familles qu’il a retrouvées au Vietnam et les prendre en photo dans leur intérieur. Ce voile symbolise à la fois l’intimité de ces familles qu’il voile et dévoile (« Re/cover ») tout à la fois. D’une grande sobriété, ces images ont un caractère émotionnel fort. Certaines femmes posent avec la photo de leur mari défunt. Elles ont su faire face à ce passé tumultueux pour continuer à vivre et élever leurs enfants dans la dignité, alors même qu’elles étaient ostracisées au sein de la société vietnamienne. Comment faire une généralité de toutes ces histoires individuelles? Comment juger ce qui nous échappe? Ces femmes ont fait la paix avec un passé qui leur appartient.
L’exposition Recover, conçue par le curateur Nguyễn Như Huy, a été présentée à Singapour et à New-York. Phan Quang a obtenu le Sovereign Asian Art Prize en 2015 pour ce travail magnifique.
Blanc Art Space, 75 D Tu Xuong, District 3, Hô Chi Minh Ville. L’endroit renferme aussi un petit café et bientôt, une bibliothèque de livres d’art contemporain. « Recover » prendra fin le 18 juillet 2016.
Pour les chanceux qui étaient à Saigon samedi dernier, il y avait un festival à ne pas manquer: la première édition de Saigonella lancée par Hélène Deprez et Cyprien Delesalle, entre amis, comme on se lance un défi. L’idée était d’organiser un événement sympa avec de la musique et des arts sous toutes leurs formes. Et puis le petit rendez-vous entre amis a pris de l’ampleur. Tellement d’ampleur qu’il est devenu un véritable festival, le bien nommé Saigonella. Bien sûr, il faut y voir le clin d’oeil au festival Coachella qui a lieu tous les ans en Californie. Le rendez-vous branché des jeunes célébrités américaines qui se doivent d’afficher un style hippie-chic très travaillé avec l’air de ne pas y toucher. Mais ce n’était juste qu’un clin d’oeil.
A Saigonella, pas de célébrités en vue. Juste des amis venus faire la fête, boire un verre, discuter, danser… L’après-midi était davantage tourné vers les familles et je n’ai pas manqué d’y emmener mes enfants que je n’ai plus revus (ou presque) pendant plus de deux heures. Finalement, c’était bon signe.
A Saigonella, on pouvait…
Voir les chouettes comédiens de la compagnie Les Ximpromptus en plein théâtre d’improvisation. De dos, Chloé, dont je n’ai pas vu la performance solo, je suis arrivée trop tard. Dommage, elle est juste géniale. Je l’avais vue sur scène au Saigon Ranger, elle m’avait bluffée.
A Saigonella, on pouvait…
Faire du yoga. Bonne idée. Le lieu, le Club House, s’y prêtait à merveille. Peu de gens connaissaient l’endroit, très éloigné du centre-ville et du quartier des expatriés occidentaux. Moi si, juste parce que j’habite tout près. Pour une fois…
Admirer la performance artistique de live painting de Laurent Judge.
Se faire maquiller, se faire tatouer au henné…
Se faire coiffer… par Olga Grigoreva. Olga est russe, hair stylist et elle était très demandée.
Jouer des percussions sur des palettes… Les enfants ont adoré.
Découvrir (mais qui ne les connaît pas encore?) les sacs de Valérie Cordier. Je suis moi-même une grande fan de son travail, coloré et très créatif. A suivre prochainement sur ce blog, un portrait de la créatrice…
Saigonella, c’était tout simplement une chouette idée. Et un travail titanesque de la part de toute l’équipe, uniquement composée de bénévoles. Une synergie incroyable dans un même but. Ils avaient tout prévu, même les navettes gratuites au départ du centre-ville et une collaboration avec Clean Up Vietnam parce que bien sûr, on peut s’amuser et rester eco friendly.
Saigonella, c’était aussi et surtout, une fête incroyable où se sont succédés les DJ jusqu’au bout de la nuit.
Suby One est un graffeur franco-vietnamien, basé à Hô Chi Minh Ville depuis 3 ans. Amoureux du graffiti et de tous les aspects de la culture urbaine, il a ouvert une galerie afin de promouvoir cet art au pays de ses origines.
C’est sa discrétion qui m’a frappée ce jour-là. Pourtant, il était le centre de toutes les attentions lors du vernissage de son exposition Time. Il était l’artiste. L’auteur des oeuvres accrochées aux cimaises du Musée des Beaux-Arts d’Hô Chi Minh Ville. Ce statut aurait dû lui imposer une posture. Une façon d’être que certains artistes en représentation ont vite fait d’assimiler, ici comme ailleurs. Pas lui. Suby One est resté le même. Il est toujours ce petit gars de Vitry-Sur-Seine où il est né voilà 37 ans. Graffeur de son état. Et toutes les strates de sa vie n’y ont rien changé…
Exposition Time
Exposition Time
Exposition Time
Je l’ai revu quelques temps après dans l’atelier de son ami, le peintre Laurent Judge. Trang Suby a déroulé le fil d’une histoire dense et colorée. Sombre et lumineuse. Lumineuse avant d’être sombre.
Son histoire, comme tous les Viêt-Kieu (Vietnamiens de l’étranger), débute par un déracinement. Ses parents, originaires de Saigon, quittent le Vietnam en 1977. « Mon grand-père maternel avait la nationalité française. Donc ma mère aussi, ce qui lui a facilité les choses pour émigrer en France. » D’abord à Mulhouse où naît Trang Suby puis très vite à Vitry. De son enfance, il dit comme une évidence: « C’était la banlieue et tout ce qui va avec. La cité, les premiers tags, la bande de potes. Il y avait beaucoup d’immigrés, et parmi les Asiatiques, beaucoup de Laotiens et des Cambodgiens mais mon meilleur copain était tunisien. » Ses parents lui parlent peu de leur histoire personnelle mais lui donne une éducation vietnamienne. « On parlait vietnamien, on mangeait vietnamien, on allait dans le 13e arrondissement pour les fêtes du Têt… Avec mes copains, on comparait nos habitudes de vie. Nos cultures étaient différentes mais on se retrouvait tous en France et on partageait beaucoup. »
Trang commence à tagger vers 13-14 ans. A 15 ans, il s’élance sur les lignes de métro. « C’est un effet de groupe. Le graff, c’est une appartenance. C’est aussi le goût de l’interdit. Pour rentrer dans un dépôt, c’était comme dans les films. Il fallait faire gaffe, aller vite, se cacher. C’était kiffant. Il fallait mettre ton nom, ton pseudonyme partout dans la ville. » Au fil du temps, la typo s’harmonise. Les couleurs apparaissent. Suby One graffe. « A l’époque, tout venait des Etats-Unis. J’adorais Mode 2, né aux USA, arrivé en France plus tard. Il était en avance sur son temps. »
Graff de Suby One à Hô Chi Minh Ville.
Mais le graffiti est illégal en France. Suby One se fait arrêter une fois. Puis une deuxième. Et pose les bombes pour un temps. « J’ai commencé à passer plus de temps dans la cité et je me suis mis à dealer. » Le reste, Suby One ne le cache pas. Il se fait arrêter pour de bon et passe un an à la prison de Fleury-Mérogis. Il avait à peine 19 ans…
« Mon père est venu me voir une fois, m’a dit ce qu’il avait à me dire et n’est plus revenu. Ma mère m’a rendu visite souvent. Elle travaillait dans une boulangerie du 13e et c’était une vraie galère dans les transports. Je l’ai vue pleurer et je me suis dit que j’avais merdé. Vraiment. » Il n’élude aucune question: « En prison, si tu n’es pas fort mentalement, tu craques. On te met dans un endroit où des tas d’autres gens peuvent t’apprendre des trucs encore plus dingues que ce que tu as fait toi. Mais il faut croire que c’est mon côté vietnamien qui l’a emporté! Quand je suis sorti, j’avais du plomb dans la tête. »
Retour à l’école, avec l’obtention d’un BEP vente. Trang Suby trouve un emploi de barmaid dans un bar huppé des Champs-Elysées. « L’un des propriétaires, sino-malaisien, a ouvert un restaurant à Singapour. J’étais celui qui parlait le mieux anglais. Je suis parti. » Un an après Fleury, le jeune homme est accueilli par son nouveau patron dans une Jaguar à l’aéroport de Singapour… « J’étais bar-manager, en costume Kenzo. Je faisais des photos dans les magazines, je mangeais au Raffles. Un an avant, c’était dans une gamelle… »
L’aventure dure un temps. Il rentre en France et en 2007, un copain lui demande de reprendre la marque de leur groupe. Trang Suby trouve un investisseur, se remet à dessiner, réalise les logos, design tee-shirts et casquettes et s’occupe de la tournée du groupe. En 2011, il participe à une expo de son ancien crew de graffeurs. « J’ai fait des petites toiles, je me suis rendu compte que ça me manquait. Comment j’avais fait pour vivre sans? J’ai commencé à faire de l’abstrait. Je me suis aussi lancé dans la sculpture. Lors de cette expo, j’ai vendu mes deux premières toiles à un amateur d’art. J’étais content parce qu’il n’était pas du milieu. » Suivent une expo solo à Paris; une autre, collective, au Carrousel du Louvre. Trang Suby décide de poursuivre dans cette voie.
2013 sera une année décisive. Il se rend pour la première fois au Vietnam rendre visite avec ses parents à sa grand-mère malade. « Je me suis tout de suite senti bien. J’ai kiffé la nourriture, l’atmosphère, tout… Et je n’ai jamais autant appris sur mes parents et leur histoire que lors de ce voyage. Ils avaient toujours esquivé. Des cases du puzzle se sont remplies. Je suis revenu plus tard pour le mariage d’un ami avec sa copine vietnamienne. C’est là que j’ai vu les premiers tags. Je suis rentré en France pour mieux revenir. » Trang Suby décide de vivre à Hô Chi Minh Ville.
Il explique: « je veux encourager le graffiti dans le pays de mes origines. Je veux mettre le Vietnam sur la carte du graff. Je suis persuadé que la prochaine scène du graff sera en Asie. » Suby One reprend les sprays et se fait connaître. Il ouvre sa galerie de street art, la Giant Step Gallery« pour tous les graffeurs que j’ai croisés et qui ont arrêté parce qu’il faut bien manger. Je leur dis qu’on peut graffer et faire un autre métier à côté. Mais ne surtout pas abandonner. »
Ici, il est chez lui. « Tout est plus simple, plus accessible. J’ai moins de stress qu’en France. Les personnes importantes, celles qui comptent dans le milieu artistique, sont plus abordables. En France, c’est toujours galère de pouvoir les approcher. »
Il sait que le graff n’est pas encore considéré comme un art à part entière au Vietnam comme il l’est désormais en France. « On vit les débuts du street art. Au Vietnam, ça ne date que de 10 ans. Les nouveaux riches Vietnamiens n’achètent pas encore. L’art contemporain commence à se vendre mais pas le graff. Qui sait, le graffiti sera peut-être la prochaine façon de se distinguer des autres collectionneurs en Asie? »
Trang Suby trace sa route. Il a franchi les frontières de l’art contemporain exposé dans les musées. « Peindre l’abstrait m’est venu naturellement car je ne conçois pas le graffiti sur toile. La place du graff est dans la rue. » Sa dernière exposition, Time, était une réflexion sur le temps qui passe. « J’ai pensé à toutes les étapes de ma vie, les bonnes et les mauvaises. Mes traits de couleur sont des mouvements marquants. Le temps qui passe ne m’effraie pas, ça me motive au contraire. » Il dit vouloir parler à tout le monde. « Ce que je fais est simple à comprendre. Ce n’est pas de l’art conceptuel. Je ne m’adresse pas à une élite parce que je n’en fais pas partie. Le street art, c’est la rue; ça n’appartient à personne. Ou alors à tout le monde. »
Requiem, c’est le nom de l’exposition-hommage aux 135 photographes de guerre disparus ou tués, des deux côtés du front au Vietnam, au Laos et au Cambodge pendant les guerres d’Indochine et visible au Musée des vestiges de la guerre à Hô Chi Minh Ville. C’est aussi un livre, dédié à ces photojournalistes de tous pays et co-écrit par les photographes Horst Faas et Tim Page à l’origine du projet. J’ai la chance d’avoir un exemplaire de cet ouvrage qui n’est plus édité depuis longtemps et que je garde précieusement.
Aller au Musée des vestiges de la guerre signifie découvrir une réalité passée, brute et sans concession, mais indispensable pour qui s’intéresse à l’histoire du Vietnam. La guerre est une succession d’atrocités. Fermer les yeux ne sert pas à grand-chose. Ces photographes étaient là pour nous les ouvrir.
L’Allemand Horst Faas a d’abord couvert la guerre du Vietnam avant d’être blessé à la jambe en 1967 et de devenir le directeur de l’agence Associated Press (AP) à Saigon où il fit travailler une armée de pigistes au talent indéniable. L’homme, unanimement reconnu comme un photojournaliste d’exception, a reçu deux Prix Pulitzer, dont l’un au Vietnam (l’autre au Bangladesh). Tim Page, quant à lui, a été blessé plusieurs fois au Vietnam. Lorsqu’il apprend la disparition de son ami Sean Flynn, photographe lui-aussi, capturé avec son collègue Dana Stone par la guérilla communiste au Cambodge en avril 1970, il décide de partir à sa recherche. Mais ne le retrouvera jamais. Il va alors créer The Indochina Media Memorial Foundation en mémoire à tous les journalistes morts ou disparus des deux côtés du front en Indochine de 1945 à 1975. Suivra la publication de l’ouvrage Requiem.
Impossible de citer tous les noms de ces héros qui firent « juste » leur métier et dont la plupart des clichés ont eu une influence majeure sur la suite du conflit et les appels à la paix dans le monde entier. Mais j’ai envie de mentionner Larry Burrows.
L’Américain Larry Burrows, correspondant de Life magazine, a couvert la guerre du Vietnam de 1962 à 1971. Le 10 février 1971, il embarque avec trois autres photographes, Keisaburo Shimamoto, Henri Huet et Kent Potter dans un hélicoptère de l’armée américaine pour couvrir l’extension du conflit au Laos. L’appareil sera abattu deux heures plus tard.
Je mentionnerais également le photographe japonais Kyoichi Sawada, récompensé lui-aussi par le prix Pulitzer en 1966 et dont voici l’une des photographies représentant la fuite d’une mère et ses enfants traversant une rivière pour échapper aux bombes américaines.
Je n’oublie pas Dickey Chapelle.
Georgette Louise Meyer, originaire de Milwaukee aux Etats-Unis, première femme correspondante de guerre à trouver la mort au Vietnam. Elle avait déjà prouvé son courage incroyable lors de la Seconde guerre mondiale. Le 4 novembre 1965, alors qu’elle accompagnait une patrouille américaine sur le front à 16 km de Chu Lai, elle reçut un éclat d’obus et mourut quelques instants plus tard. C’est le photographe français Henri Huet qui immortalisa l’aumônier John McNamara administrant l’extrême onction à Dickey Chapelle.
Enfin, et surtout, je veux citer le photographe français Henri Huet.
Henri Huet photographié par Michael Putzel en 1970.
Pourquoi? Parce que je suis particulièrement touchée par son travail. « Henri était charmant, intelligent, soucieux de rendre compte de cette guerre qui meurtrissait son pays, le Vietnam, disait de lui Horst Faas. C’était un homme bienveillant. La compassion faisait partie de ses qualités et il savait la traduire en photographies. »
Son pays. Car Henri Huet est né à Dalat au Vietnam le 14 avril 1927 d’un père français originaire de Roz-sur-Couesnon en Bretagne et d’une jeune annamite issue d’une famille de lettrés. Son père vit en Indochine depuis une trentaine d’années mais décide en 1933 d’envoyer ses trois garçons en Bretagne pour y être éduqués. En 1949, Henri s’enrôle dans l’armée française car il veut retourner au Vietnam. « Ils m’ont demandé quelle spécialité m’intéressait. Je ne voulais pas être opérateur radio. Alors j’ai dit photographe. »Il est affecté en Indochine en mars 1950. En 1952, il revient à la vie civile et s’installe à Saigon.
Il se fait peu à peu connaître comme un photographe reconnu jusqu’à ce 1er novembre 1963 où il photographie le putsch des militaires qui fait tomber le gouvernement du président Ngo Dinh Diem, soutenu par les Etats-Unis. Le reportage est publié sur 6 pages dans Paris-Match. C’est le début de sa carrière de photographe de guerre. En mars 1965, il est embauché par l’agence américaine United Press International (UPI) qu’il quittera quelques mois plus tard pour Associated Press (AP), plus prestigieuse (de 1964 à 1974, AP sera récompensé par 6 prix Pulitzer pour la couverture de la guerre du Vietnam). En 1967, Henri Huet reçoit le prix Robert Capa à New-York pour son reportage de la bataille d’An Thi en janvier 1966 qui fera la Une du magazine Life le 11 février 1966.
En juin 1967, il fait un reportage avec les troupes américaines lors de la bataille pour la colline 174. Il réalise notamment une séquence incroyablement forte d’un jeune médecin qui tente de ramener à la vie un soldat blessé, en lui faisant du bouche à bouche alors que les tirs fusent tout autour. « En vain, en quelques minutes il était mort », écrit Henri Huet. C’est cette photo qui m’a interpellée lorsque j’ai vu Requiem pour la première fois. Elle m’a bouleversée. Comment traduire l’impuissance des hommes et l’atrocité d’une guerre aussi bien que par ce geste désespéré qui conduira, malgré tout, à la mort?
Henri Huet est décédé dans le crash de l’hélicoptère qui le menait couvrir les combats au Laos, au-dessus de la piste Hô Chi Minh, avec ses collègues Larry Burrows, Keisaburo Shimamoto et Kent Potter le 10 février 1971.
Musée des Vestiges de la guerre, 28 VO Van Tan, Hô Chi Minh Ville.
A lire: Henri Huet "J'étais photographe de guerre au Viêtnam", Horst Faas et Hélène Gédouin publié au Chêne.