Requiem

Requiem, c’est le nom de l’exposition-hommage aux 135 photographes de guerre disparus ou tués, des deux côtés du front au Vietnam, au Laos et au Cambodge pendant les guerres d’Indochine et visible au Musée des vestiges de la guerre à Hô Chi Minh Ville. C’est aussi un livre, dédié à ces photojournalistes de tous pays et co-écrit par les photographes Horst Faas et Tim Page à l’origine du projet. J’ai la chance d’avoir un exemplaire de cet ouvrage qui n’est plus édité depuis longtemps et que je garde précieusement.

Aller au Musée des vestiges de la guerre signifie découvrir une réalité passée, brute et sans concession, mais indispensable pour qui s’intéresse à l’histoire du Vietnam. La guerre est une succession d’atrocités. Fermer les yeux ne sert pas à grand-chose. Ces photographes étaient là pour nous les ouvrir.

L’Allemand Horst Faas a d’abord couvert la guerre du Vietnam avant d’être blessé à la jambe en 1967 et de devenir le directeur de l’agence Associated Press (AP) à Saigon où il fit travailler une armée de pigistes au talent indéniable. L’homme, unanimement reconnu comme un photojournaliste d’exception, a reçu deux Prix Pulitzer, dont l’un au Vietnam (l’autre au Bangladesh). Tim Page, quant à lui, a été blessé plusieurs fois au Vietnam. Lorsqu’il apprend la disparition de son ami Sean Flynn, photographe lui-aussi, capturé avec son collègue Dana Stone par la guérilla communiste au Cambodge en avril 1970, il décide de partir à sa recherche. Mais ne le retrouvera jamais. Il va alors créer  The Indochina  Media Memorial Foundation en mémoire à tous les journalistes morts ou disparus des deux côtés du front en Indochine de 1945 à 1975. Suivra la publication de l’ouvrage Requiem.

Impossible de citer tous les noms de ces héros qui firent « juste » leur métier et dont la plupart des clichés ont eu une influence majeure sur la suite du conflit et les appels à la paix dans le monde entier. Mais j’ai envie de mentionner Larry Burrows.

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L’Américain Larry Burrows, correspondant de Life magazine, a couvert la guerre du Vietnam de 1962 à 1971. Le 10 février 1971, il embarque avec trois autres photographes, Keisaburo Shimamoto, Henri Huet et Kent Potter dans un hélicoptère de l’armée américaine pour couvrir l’extension du conflit au Laos. L’appareil sera abattu deux heures plus tard.

Je mentionnerais également le photographe japonais Kyoichi Sawada, récompensé lui-aussi par le prix Pulitzer en 1966 et dont voici l’une des photographies représentant la fuite d’une mère et ses enfants traversant une rivière pour échapper aux bombes américaines.

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Je n’oublie pas Dickey Chapelle.

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Georgette Louise Meyer, originaire de Milwaukee aux Etats-Unis, première femme correspondante de guerre à trouver la mort au Vietnam. Elle avait déjà prouvé son courage incroyable lors de la Seconde guerre mondiale. Le 4 novembre 1965, alors qu’elle accompagnait une patrouille américaine sur le front à 16 km de Chu Lai, elle reçut un éclat d’obus et mourut quelques instants plus tard. C’est le photographe français Henri Huet qui  immortalisa l’aumônier John McNamara administrant l’extrême onction à Dickey Chapelle.

Enfin, et surtout, je veux citer le photographe français Henri Huet.

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Henri Huet photographié par Michael Putzel en 1970.

Pourquoi? Parce que je suis particulièrement touchée par son travail. « Henri était charmant, intelligent, soucieux de rendre compte de cette guerre qui meurtrissait son pays, le Vietnam, disait de lui Horst Faas. C’était un homme bienveillant. La compassion faisait partie de ses qualités et il savait la traduire en photographies. »

Son pays. Car Henri Huet est né à Dalat au Vietnam le 14 avril 1927 d’un père français originaire de Roz-sur-Couesnon en Bretagne et d’une jeune annamite issue d’une famille de lettrés. Son père vit en Indochine depuis une trentaine d’années mais décide en 1933 d’envoyer ses trois garçons en Bretagne pour y être éduqués. En 1949, Henri s’enrôle dans l’armée française car il veut retourner au Vietnam. « Ils m’ont demandé quelle spécialité m’intéressait. Je ne voulais pas être opérateur radio. Alors j’ai dit photographe. »Il est affecté en Indochine en mars 1950. En 1952, il revient à la vie civile et s’installe à Saigon.

Il se fait peu à peu connaître comme un photographe reconnu jusqu’à ce 1er novembre 1963 où il photographie le putsch des militaires qui fait tomber le gouvernement du président Ngo Dinh Diem, soutenu par les Etats-Unis. Le reportage est publié sur 6 pages dans Paris-Match. C’est le début de sa carrière de photographe de guerre. En mars 1965, il est embauché par l’agence américaine United Press International (UPI) qu’il quittera quelques mois plus tard pour Associated Press (AP), plus prestigieuse (de 1964 à 1974, AP sera récompensé par 6 prix Pulitzer pour la couverture de la guerre du Vietnam). En 1967, Henri Huet reçoit le prix Robert Capa à New-York pour son reportage de la bataille d’An Thi en janvier 1966 qui fera la Une du magazine Life le 11 février 1966.

En juin 1967, il fait un reportage avec les troupes américaines lors de la bataille pour la colline 174. Il réalise notamment une séquence incroyablement forte d’un jeune médecin qui tente de ramener à la vie un soldat blessé, en lui faisant du bouche à bouche alors que les tirs fusent tout autour. « En vain, en quelques minutes il était mort », écrit Henri Huet. C’est cette photo qui m’a interpellée lorsque j’ai vu Requiem pour la première fois. Elle m’a bouleversée. Comment traduire l’impuissance des hommes et l’atrocité d’une guerre aussi bien que par ce geste désespéré qui conduira, malgré tout, à la mort?

 

Henri Huet est décédé dans le crash de l’hélicoptère qui le menait couvrir les combats au Laos, au-dessus de la piste Hô Chi Minh, avec ses collègues Larry Burrows, Keisaburo Shimamoto et Kent Potter le 10 février 1971.

Musée des Vestiges de la guerre, 28 VO Van Tan, Hô Chi Minh Ville.
A lire: Henri Huet "J'étais photographe de guerre au Viêtnam", Horst Faas et Hélène Gédouin publié au Chêne.

2 réflexions au sujet de « Requiem »

  1. Merci, Sabrina, pour ce résumé et ces photos de mes héros. Juste une petite erreur, Henri Huet est mort dans le crash de l’hélico, et non de l’avion, qui l’emmenait au Laos. Avec Larry Burrows, donc.

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