Mai Loan Tu, 28 ans, vient de fêter sa première année d’expatriation à Saigon. Artiste et tatoueuse, elle porte ses origines vietnamiennes paternelles avec élégance et discrétion. Rencontre dans le salon où elle travaille le tatouage comme un art graphique aussi singulier que multiple.
Elle a cette douceur dans la voix et cette simplicité qui ne la quittent pas. Elle ne veut pas d’une imposture. Mai-Loan Tu s’excuserait presque d’être là, tellement sa modestie en souffre. Mais il faut bien le constater: elle a le regard d’une artiste et de l’or dans les doigts. Un délicat trait d’eye-liner noir souligne ce regard bienveillant de la jeune femme qui porte, ce jour-là, des boots noirs et une petite robe noire à pois blancs. Le noir lui va si bien… Ce noir de l’encre indélébile qu’elle imprime désormais chaque jour sur des corps anonymes.
« Se faire tatouer n’est pas un acte anodin. Aujourd’hui, le tatouage est plus personnel que l’appartenance à un groupe. Ce n’est jamais un coup de tête, c’est un acte réfléchi. »
Son premier tatouage à elle est une petite clé sur la cheville, discrète. Le deuxième est une gravure de coquelicot qu’elle s’est fait elle-même, en France, où elle avait suivi une formation hygiène. Toujours discret. Son troisième tatouage, elle le fera au Vietnam: « c’est mon maître qui me l’a fait sur mon avant-bras gauche. C’est Mélusine, un personnage de gravure. J’adore les gravures anciennes. Celui-ci est visible, j’avais sans doute plus envie de le montrer. »
Car c’est au Vietnam que Mai-Loan a enfin pu intégrer le monde du tatouage.
« En France, c’est un milieu très fermé. si tu ne connais pas un tatoueur, il est quasiment impossible d’y entrer. »
Dessinatrice de formation, Mai-Loan a fait ses études d’art à Bruxelles où elle a passé 3 ans, avant de se rendre à Barcelone. Mais ses origines vietnamiennes (par son père) l’ont rattrapées et le vent l’a poussée jusqu’ici où elle voulait « trouver un nouveau souffle ». Elle y a rencontré Aries, tatoueur vietnamien qui officie depuis 10 ans au shop Exile Ink Vietnam, à Thao Dien, dans le district 2. « Il sait tout faire, surtout les dessins dans le style japonais et les aquarelles. Il m’a dit: « je vais t’apprendre tout ce que je sais ». Il ne voulait pas de cette hiérarchie maître-élève. Il m’a fait confiance. Au bout de deux mois, j’ai tatoué mon premier portrait sur la jambe de mon boss, le propriétaire du shop, qui est anglais. Quelle confiance! »
Qui se tatoue? « Tout le monde, tous les âges, Vietnamiens, expatriés… Le tatouage s’est banalisé, il a explosé. » Mai-Loan sait qu’il faut rassurer et soigner toutes les premières fois. La discussion est essentielle pour que la confiance s’installe.
« Chacun vient avec une idée précise. Ils commencent par un petit tatouage, puis reviennent en faire un autre, puis un autre. Le tatouage est addictif! »
La jeune femme se souvient de la première fois qu’elle a tatoué: « c’était un petit cupcake, sur une amie, en France. Ma main tremblait. Aujourd’hui encore, je ne prends jamais cela à la légère. Ce n’est pas rien de confier son corps à quelqu’un qui va y imprimer un dessin indélébile. » (1)
Rappelons que Mai-Loan Tu est avant tout dessinatrice et qu’elle a exposé ses oeuvres à Salon Saigon.
(1) On peut faire retirer un tatouage que l’on n’aime plus au laser mais c’est cher, douloureux et jamais parfait. En général, on le recouvre avec un autre tatouage.